La chronique de Bernard Peignot Un passage pour son auto
L’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice d’une servitude de passage.
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L’histoire
Propriétaire d’une grande parcelle, Yves avait procédé à sa division en deux en vue de constituer des terrains à bâtir. Pour les désenclaver et en assurer la desserte à partir de la voie publique, il avait aménagé une servitude de passage constituée par un chemin de desserte. Il avait alors vendu les terrains, l’un à Jean et l’autre à Anne. Cette dernière, pour des raisons de commodité, avait décidé de renoncer au bénéfice de la servitude. Des années plus tard, Anne avait vendu son terrain à Cyrille.
Le contentieux
La situation d’enclave du terrain compromettait le projet de construction de ce dernier. Cyrille avait alors assigné Anne et Jean devant le tribunal judiciaire en désenclavement de son fonds, en demandant l’ouverture d’un passage sur leurs propriétés. Il avait fondé son recours sur la mise en œuvre de la servitude légale de passage, telle que visée à l’article 682 du code civil : « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue suffisante pour la réalisation d’opérations de construction, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il put occasionner. » Et si l’enclave résulte de la division d’un fonds par suite d’une vente, d’un échange, d’un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l’objet de ces actes.
Or, pour Cyrille, la situation était claire. À l’origine, Yves avait bien procédé à la division de sa grande parcelle en deux terrains et pour en assurer le désenclavement, il avait aménagé une servitude de passage dont l’assiette était constituée par un chemin desservant chaque terrain. Toutefois, Anne avait renoncé au bénéfice de cette servitude et conclu un accord avec Jean. Aussi, Anne avait bien rétabli l’état d’enclave : elle devait y mettre fin en rétablissant un passage.
Anne s’était défendue. Cyrille ne pouvait ignorer qu’elle avait renoncé à utiliser le chemin litigieux et avait aménagé sur le terrain un accès pédestre permettant d’accéder à la rue. Cette situation était opposable à Cyrille, qui en avait eu connaissance lors de l’acquisition.
Les juges ont donné raison à Anne en écartant la demande de désenclavement. En effet, Anne avait volontairement enclavé le terrain en renonçant, aux termes d’un acte conclu avec Jean, au bénéfice de la servitude légale de passage grevant les terrains à l’origine.
Cyrille ne s’était pas avoué vaincu. Devant la Cour de cassation, son avocat avait fait valoir que la renonciation à la servitude lui était inopposable. La Cour suprême a censuré l’arrêt d’appel. L’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée.
L’épilogue
La Cour de renvoi devra constater le caractère insuffisant du passage pédestre aménagé par Anne et décider qu’elle et Jean devront se mettre d’accord pour rétablir un passage suffisant permettant une desserte normale du terrain de Cyrille.
On retiendra de ce litige que tout propriétaire d’une parcelle enclavée a le droit de réclamer un passage sur le fonds de son voisin en vue d’assurer la desserte automobile de sa maison.
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